Un peu d’histoire.
Les Studios Davout, ouverts par Yves Chamberland et Claude Ermelin, comptèrent, de 1965 à 2017, parmi les organes vitaux de la musique enregistrée en France.
Le cultissime studio A, pièce maîtresse de cet ensemble, accueillit grâce à ses dimensions hors normes (320 m²) des sessions d’orchestre comprenant jusque cent musicien·ne·s.
Très tôt, l’acquisition d’un projecteur 35 mm permettant aux chefs d’orchestre de diriger tout en suivant le film (cela peut prêter à sourire maintenant, mais il s’agissait d’une innovation prodigieuse en 1965) le propulsa pour un demi-siècle tout en haut de la nomenklatura des studios qui comptent dans le milieu des musiques de film.
Témoignage de cette époque, la photo de Michel Legrand – le regard concentré, supervisant les prises de voix d’une toute jeune Catherine Deneuve pour les « Demoiselles de Rochefort – était accrochée à l’entrée de la cabine comme pour donner le vertige du temps qui passe, rappeler ou l’on mettait les pieds…
Mais en parallèle de la musique à l’image, pendant cinq décennies d’activité, les murs et circuits électroniques des quatre studios de Davout vibrèrent aux sons de milliers d’enregistrements d’artistes en provenance de toutes les strates de la musique : Prince, Miles Davis, Rolling Stones, The Cure, Talking Heads, Gainsbourg, Claude François, Fela Kuti, Stockhausen, Boulez…
Totalement impossible de tous les lister ici. Même si les résultats ne sont pas exhaustifs, taper « Davout » sur discogs.com peut fournir des milliers de références aux curieux.ses désireux.ses d’en savoir plus sur le sujet.
Pour en revenir à cet objet de forme circulaire et de matière vinyle que vous tenez entre vos mains, sachez que lorsqu’en décembre 2016, la Mairie de Paris se décida à rayer de la carte cet inestimable patrimoine technique et historique, la seconde d’après, ce projet était né.
« Hey, ça fait 3 ans qu’ils en parlaient, ça y est ça vient de tomber, ils vont fermer le studio en avril, c’est mort et enterré. Magnez-vous, on enregistre un autre disque c’est maintenant. »
« Putain… Ok… Bon on fait ça mais pas seuls. On fait un split à 4 groupes avec des gens qu’on kiffe et on le sort en vinyle. »
« Bon. Ok. Let’s go. »
Les protagonistes de l’échange, Hugo Pernot (ingé son du studio) et Vincent Cuny (musicien de Noyades), furent immédiatement rejoints par Anne-Cécile de Vellis, Felix Martinaud et Antoine Khoury puis soutenus par le label S.K. Records. Positionné·e·s quelque part entre l’envie de tout dégommer et une réalité plutôt synonyme d’absence de moyens financiers, armé.e.s de peu de temps pour concrétiser ces paroles (trop) ambitieuses, l’idée de ce détachement de guérilleros de la musique indépendante n’était autre que de réussir à créer un salut, un souvenir, de la mémoire.
Des artistes flamboyant·e·s : La Jungle, binôme belge, Tomaga, duo anglo-italien, Jozef Van Wissem, luthiste hollandais, et Noyades, trio local, tout.e.s ont été réuni.e.s dans l’urgence la plus sauvage aux mois de février et mars 2017 pour venir, chacun.e le temps d’une journée, faire travailler les vu-mètres du Studer A 800 et résonner une dernière fois la folle réverbération naturelle du Studio A.
En résulte ce patchwork halluciné et ésotérique de morceaux créés/arrangés spécialement pour l’occasion, enregistrés live, parfois jusque très tard dans la nuit, à l’heure où les cendriers débordent et où la machine à café menace d’exploser.
Célébrer au lieu de geindre en tentant un dernier coup à fond : voici l’énergie de ce disque.
Une tentative d’hommage de 36 minutes pour le salut de 51 années d’histoire, pour se remémorer un lieu, ses murs, son âme. Sans autre prétention que de parvenir à fixer un souvenir dans nos mémoires, et espérons, dans celles des personnes pour qui ce genre de choses comptent.
Nous tenons tout particulièrement à remercier Marc Prada, ainsi que Théau Rogerie, Marjolaine Carme, Jean-Loup Morette, Fanny Feeny pour leur accueil au Studio, Sergent Buck, et last but not least, Nico, Sophie et les membres de S.K. Records.